Sommes-nous réellement prêts ?
L’Algérie dispose de l’un des plus grands potentiels de corail au monde. En fait, il ne s’agit ni plus ni moins que de la moitié, soit 50%, de la production mondiale que les profondeurs de ses côtes recèlent, selon des experts internationaux. La pêche de cette richesse marine, communément appelée «or rouge», devrait être reprise au courant du mois d’avril. Et l’annonce ne fait pas que des heureux, tant ils sont nombreux à considérer la démarche prématurée, arguant que la ressource ne s’est pas encore régénérée après sa surexploitation durant plus de 13 années. En effet, malgré son interdiction en 2001, la pêche au corail a continué à faire l'objet de braconnage. Depuis l’an 2000, pas moins de 15 tonnes de ce produit ont été saisies par les services des gardes-côtes, selon les chiffres du Comité national des marins pêcheurs (CNMP).
Des résistances malgré les assurances
Bras de fer Les pouvoirs publics affirment qu’il n’est pas question de brader cette richesse et que la décision de réouverture de la pêche au corail, ne saurait se faire en dehors d’un cadre «organisé», pour éviter son exploitation «irrationnelle».
C’était en fin d’année lors d’une rencontre qui avait réuni dans la wilaya d’El-Tarf, le ministre de la Pêche et des Ressources halieutiques, Sid-Ahmed Ferroukhi, avec des professionnels du métier venus de différentes régions du pays. Evoquant le sujet, le ministre avait tenu à rassurer en affirmant : «Je suis venu écouter vos préoccupations et vos suggestions pour la mise en place d’un dispositif permettant l’organisation, l’exploitation rationnelle et la commercialisation du corail à partir de 2014.»
Soulignant lors de cette rencontre-débat que la concertation et le dialogue avec les corailleurs constitue «une phase importante», M. Ferroukhi avait affirmé qu’«il s’agit-là de la deuxième phase du dossier relatif à la pêche au corail, laquelle porte sur la mobilisation de l’ensemble des conditions nécessaires, comme le cadre juridique et organisationnel, la délimitation des sites corallifères, les concessions, la formation et l’accompagnement, en vue de valoriser et de préserver cette richesse».
Il avait également souligné, dans ce contexte, que l’activité de pêche au corail sera réglementée par l’Agence nationale de développement durable de la pêche dont les locaux si situent au chef-lieu de la wilaya d’El-El-Tarf.
Pourtant, et malgré toutes ces assurances, il en est qui restent sceptiques. Parmi ces deniers : le Comité national des marins pêcheurs (CNMP).
Ce dernier n’a pas manqué, il y a quelque temps, d’exprimer son mécontentement quant à cette décision.
«Nous sommes contre la réouverture de la pêche au corail parce que les coraux n’ont pas atteint encore une taille marchande», a déclaré le président du CNMP, Hocine Bellout lors d’une conférence de presse tenue récemment au siège de l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA).
Cette organisation syndicale s'est dit aussi contre l’exploitation de la ressource corallienne avec et par les étrangers et exhorte les pouvoirs publics à aider les corailleurs algériens à se doter des moyens techniques et logistiques pour l’exploitation de cette ressource. «Nous sommes contre le partenariat étranger parce que cela va accentuer la surexploitation des récifs coralliens», a-t-il estimé, soulignant que cette activité «connaît un trafic illégal avec la complicité d’Algériens».
D’après M. Bellout, les prix élevés du corail sur le marché international favorisent la contrebande de cet or rouge algérien qui transite, selon lui, par les pays voisins vers l’Italie et arrive jusqu’aux Etats-Unis.
AGENOR pour la commercialisation
Le projet de loi de finances 2014 a autorisé, dans son article 74, l’exploitation du corail sous forme de concession domaniale
attribuée par voie d’adjudication pour une période de cinq ans. Cette décision est motivée, selon le texte du projet de loi, par l’abondance du corail sur certaines zones de la côte
algérienne.
De ce fait une meilleure connaissance en matière de distribution et rendement biologique des stocks existants, peut être un «préalable» à l’orientation et le guide de l’exploitation de ces
ressources tant convoitées. Par ailleurs, après la suspension de la pêche du corail, il a été constaté que l’exploitation de cette ressource se faisait illicitement d’une manière destructrice à
l’environnement.
En effet, le plan de gestion a prévu l’instauration de deux zones d’exploitation l’une à l’est et l’autre à l’ouest du pays, alors que les zones sont découpées en cinq secteurs, ce qui donne un total de dix secteurs. Cependant, cette réouverture de la pêche au corail a été précédée par la présentation d’un dossier de la part du ministère de la Pêche au Conseil interministériel qui s’est réuni le 1er septembre dernier et qui l’a examiné et validé. Le dossier préparé par un groupe de travail intersectoriel, a suggéré la mise en place d’un organisme chargé du suivi, du contrôle, de la régulation et du développement de la filière pêche au corail.
En revanche, la concession doit être cachetée par les autorités locales, alors que le quota de pêche est de l’ordre de 300 kilos par an pour chaque concessionnaire. Pour ce qui est de la commercialisation, celle-ci est attribuée d’une manière exclusive à l'Agence Nationale pour la Distribution et la Transformation de l'or et des autres métaux précieux
Réseaux mafieux aux ramifications internationales
Lutte L’interdiction de la pêche de cet animal marin avait pour objectif de lui permettre de se régénérer.
Ce qui n’a pas empêché des barons locaux dans certaines régions du pays de continuer à saigner cette richesse durant de longues années, en s’organisant en une véritable mafia dont les ramifications vont bien au-delà de leur petit fief puisqu’il s’agit parfois de réseaux carrément internationaux.
Des centaines d’embarcations à moteur, entre 500 et un millier, - en l’absence de recensement précis -, vont pendant 13 ans piller systématiquement les roches et les tombants où s’agrippent les branches du polypier, ce minuscule constructeur proche de la méduse.
Au courant du mois de décembre, pour ne citer que ce cas récent, plusieurs kilos de corail brut destinés à la contrebande ont été saisis, par les éléments de la sûreté de daïra d'El-Eulma dans la wilaya de Sétif. Il s’agissait d’«individus identifiés comme étant des membres d'un réseau international de contrebande de corail», selon une source sécuritaire.
A l’issue de cette opération, quatre personnes ont été arrêtées «au moment où elles s'apprêtaient à livrer 10 kg de corail à un ressortissant étranger», a encore indiqué la même source.
Parmi les régions où la contrebande de ce produit fait rage : El-Kala à El-Tarf. Et quand on sait que le prix du kilo peut varier en fonction de sa qualité de 20 000 DA à un million de dinars, on comprend mieux le pourquoi. On le comprend d’autant plus que la commune d’El-Kala, malgré son potentiel, fait partie des parents pauvres des communes du pays. Cette dernière étant longtemps restée totalement oubliée des différents plans d’investissements. Aucun projet important n’y a été lancé et les investisseurs semblent bouder la région où des zones touristiques y sont, aujourd’hui encore, totalement vierges. Résultat : les jeunes perdent espoir et restent exposés à toutes sortes de propositions dans le circuit de la contrebande de corail. Une situation que compte réparer le principal événement ayant marqué la fin de l’année 2013 dans la wilaya d'El-Tarf : le programme complémentaire de 31,668 milliards de dinars.
Ainsi, l’ensemble des secteurs d’activité a été ciblé pour permettre à El-Tarf d’effectuer ce bond qualitatif dans la modernité touchant tous les secteurs. Aussi bien dans l’habitat, l’urbanisme et les travaux publics que les ressources en eau, l’amélioration foncière et l’énergie, pour amener toute une région à faire sa mue.
El-Tarf, où les chantiers de réalisation d’ouvrages divers ont été ouverts, un peu partout à travers ses 24 communes, pour réaliser des logements, tous segments confondus, barrages, raccordements au gaz de ville et au réseau d’AEP, renforcement de l’éclairage public, entend ainsi consolider le dispositif de lutte contre les différentes formes de contrebande, dont le corail.
Le corail à travers l’histoire
D’abord présenté comme une pierre arborescente, les pêcheurs et naturalistes savaient dans l’antiquité cependant que le corail a la faculté de grandir, et son origine vivante a rarement été remise en cause.
Au IIIe siècle avant notre ère, le philosophe grec Théophraste (disciple et successeur d'Aristote) voit dans le corail une plante pétrifiée.
À la suite d'Aristote, l'intellectuel musulman perse, Al-Biruni (973-1048), les classe parmi «les animaux», au motif qu'ils répondent au toucher.
En Occident, le corail a ensuite été supposé être une plante aquatique, car au début du XVIIe siècle, le scientifique italien, Marsigli observe ce qu'il prend pour des sortes de fleurs, qui s'y épanouissent quand on le maintient dans de bonnes conditions en aquarium.
Le Français Jean-André Peyssonnel (1694-1759), jeune naturaliste, observant mieux ces «fleurs» en déduit ensuite qu'elles sont en fait des animaux. Cette hypothèse est d'abord très discutée et même vivement attaquée avant d'être admise par tous. Le botaniste français, Buffon tranchera définitivement en déclarant : «Ainsi les plantes marines, que d’abord on avait mises au rang des minéraux, puis passé dans la classe des végétaux, sont enfin demeurées pour toujours dans celle des animaux». C'est enfin le scientifique germano-britannique, William Herschel qui en apportera la preuve scientifique irréfutable grâce à l'observation au microscope.
Dernières saisies en date
Durant le mois de décembre, trois individus ont été arrêtés à Jijel pour extraction et commercialisation illicites de corail et saisi 1,300 kg de ce produit. Les mis en cause, âgés de 30 à 48 ans, ont été interpellés par les éléments de la BMPJ d'El-Aouana, la 3e sûreté urbaine et ceux de la Brigade de recherche et d’investigation (BRI), près de la plage «Ouled Bounar» (ouest de Jijel). Les trois contrebandiers, qui étaient également en possession d’armes blanches (prohibées) ont été présentés devant la justice et écroués. Durant ce même mois, les éléments du poste avancé des gardes frontières d’El-Ayoun (El-Tarf) ont récupéré 122 filets destinés à la pêche illicite de corail.
Le groupement de Gendarmerie nationale de cette wilaya a, en outre, saisi six sacs contenant les filets lors d’une embuscade tendue près de la bande frontalière est, non loin de la commune d’Oum Teboul.
Des réserves
«Il faudrait attendre encore cinq ans pour que les coraux atteignent un niveau de croissance acceptable, étant donné que la taille de cet animal marin ne croit que de deux millimètres par an», explique le Comité national des marins pêcheurs (CNMP) par la voix de son président Hocine Bellout. Et d’ajouter que les dysfonctionnements qu’enregistre le secteur de la pêche en Algérie, notamment en termes de contrôle dont les mécanismes laissent à désirer, n’est pas là pour garantir une gestion rationnelle de l’exploitation de cette richesse.
Source Infosoir Lyes Sadoun
Le Pèlerin